Zombies : variations d'un motif, tremblement des frontières entre fiction et réalité.
Présentation par Anaïs Dormoy et Axelle Rossini
Errances
Des visages des vivants, quand nos héritages travaillent nos possibles.
Intervention et discussion initiées par Maëlle Charpin, Johanna Giacardi et Lauren Lenoir
« Sentir le grisou, dit Georges Didi-Huberman, comme c'est difficile. Le grisou est un gaz inodore et incolore. Comment, alors, le sentir ou le voir malgré tout ? Autrement dit, comment voir venir la catastrophe ? »
Que faire dire au Théâtre aujourd'hui ? Quels textes faire entendre ?
En référence au principe de citation énoncé par Derrida, nous avons choisi d'élaborer notre travail en ouvrant un espace-temps qui propose des aller-retour entre la trace d'un texte -sa citation-, son interprétation par le sujet et l'objet traité. Jamais totalement présent, renvoyant à l'absence, au tout-autre.
A travers l'ébauche d'un montage d’éléments considérés comme archives (texte, poème ou édito contemporain), nous avons choisit de retracer, à travers le regard d'artistes critiques, l'état de mondes actuels, de 1960 à nos jours, en donnant à penser le statut du sujet dans la société capitaliste, le rôle de la mémoire dans la vie de l’individu, de la société, et la fonction de l'art
La figure du zombie a pu faire l’objet de différentes études des sciences humaines, parmi celles-ci le « mort-vivant » à pu traduire le sentiment d'impuissance devant la peur de la catastrophe de la société contemporaine.
Nous avons émis le désir de confronter et faire dialoguer des visions poétiques d’artistes, afin de faire écho à cette problématique.
Visionnaires, pour leur époque, et qui ont cependant été qualifier de marginaux, hors normes.
Ces Auteurs interrogent la résistance aux normes, et la relativité de ces dernières.
Ainsi, la forme de cette tentative pose la question : « Comment prendre, incarner, incorporer la parole d’autrui ? », en s’inscrivant à l’intérieur même du travail d’acteur, de ses intentions, de la matière qu’il met en jeu.
Ici, des paroles de morts, terriblement actuelles, pourtant.
« Et aujourd'hui encore, dans les années soixante, les choses n'ont pas changé : la situation des hommes et de leur société est la même qui a produit les tragédies d'hier. » Pier Paolo Pasolini
Les éléments choisis
Le Traitement de Pier Paolo Pasolini qui peint un état du monde en 1962, qui est déjà en marche vers l'uniformisation de l'individu et donne à penser le rôle de l'art et du poète dans ce système organisé de la normalité.
Extrait :
« Car la question que nous avions à poser est celle -ci : Que s'est-il passé dans le monde, après la guerre et l'après-guerre ? La normalité. « C'est alors qu'il faut créer, artificiellement, l'état d'urgence : ce sont les poètes qui s'en chargent. Les poètes, ces éternels indignés, ces champions de la rage intellectuelle, de la furie philosophique.1 ».
Ce que préconise ici Pasolini, c'est une mise aux aguets permanente, qui permettrait de penser et exister en dehors de la norme, faire surgir la beauté, peut être l'espoir d'un tournant inimaginable, d'où pourrait s'ouvrir timidement les voies du cosmos.
Le deuxième est un extrait de l'archive radiophonique Pour en finir avec le jugement de dieu, d'Antonin Artaud, qui fut censuré. L'extrait s'intitule « La recherche de la fécalité ».
Il resserre le focus sur la construction du sujet, donne à penser ce que signifie l'être au monde, se penser soi-même dans le lien entre corporalité/langage. Ce qui, suivant notre hypothèse, pourrait remettre en question les bases de la construction du sujet.
Le troisième élément de ce corpus est l'édito du théâtre de la Commune de Marie-José Malis qui interroge
concrètement aujourd'hui, comment se traduisent les formes de prises en charge des problématiques du politique de l’art, de l’art politique.
« Quand le monde classique sera épuisé – quand tous les paysans et les artisans seront morts – quand l'industrie aura rendu inarrêtable le cycle de la production et de la consommation – alors notre histoire prendra fin. »
Dispositif performatif
Présence étrangère incontrôlée, parole de morts traduites par le corps de vivants, trafic d'identités.
Les actrices sont assises sur des chaises au sein même du public. Le dispositif détourne ainsi le principe de la table-ronde en donnant l'illusion d'une prise de parole directe des trois actrices qui ne font que répéter les textes qu'elles entendent dans des oreillettes dissimulées.
La parole advient dans l’instant, s'invente pour celle qui la prononce, et pour qui souvent, autant pour les spectateurs, ne sait pas ce que sera la phrase suivante. La prosodie des textes enregistrés au préalable et répétés, altèrent le rythme des phrases et du texte à entendre. On assiste alors à une prise de parole désincarnée. Le texte est scandé de manière mécanique, sans interprétation.
Donner à voir la limite entre le jeu et le non-jeu, à la frontière de la représentation. L'incarnation se fait par intermittence , peu à peu, quelque chose se déplace, lorsque la comédienne reconnaît ou croit saisir le sens d'une phrase, elle tente d'incarner, en y mettant une intonation. On oscille à la limite de la représentation. Le résultat est étrange et décalé, une inquiétante étrangeté.
Il y a aussi les ratés qui déstabilise l'acteur, lorsqu'il perd le sens, ou n'entend pas. C'est la prise de risque en public. L'énonciation est instable, toujours en train de se chercher, sur le fil, elle montre l'acteur au travail. Le Théâtre accepté comme tel devient réalité, celle-ci acceptée comme telle est en fait théâtre, devient théâtre.
A l'origine, l'idée du dispositif était de répéter des enregistrements originaux de ces textes. Cela a été le cas pour Johana, qui a travaillé sur le texte écrit pour la radio d'Antonin Artaud : Pour en finir avec le jugement de Dieu.
« Ce n'est pas la même chose, en effet, de commémorer une catastrophe passée dans les pompes consensuelles des « lieux de mémoire », et de se remémorer une catastrophe passée pour éclairer la situation présente sous l'angle des incendies à venir. »