Things Not Necessarily Meant to Be Viewed as Art, feuille de salle de l'exposition, >Vidéochroniques, 2016.
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Things Not Necessarily Meant to Be Viewed as Art
Photo : Mel Bochner, Working Drawings and Other Visible Things on Paper Not Necessarily Meant to Be viewed as Art, 1966
Rasheed Araeen, Mel Bochner, Marcel Broodthaers, André Cadere, Fernand Deligny, Hollis Frampton, James Lee Byars, Lucy Lippard, Raivo Puusemp, Robert Raushenberg, Ad Reinhardt, Ed Rusha, Allan Sekula, Seth Siegelaub, Mladen stilinovic
Une proposition de projet de recherche de l'École supérieure d'Art et de Design Toulon Provence Méditérranée.
Commissariat : Marie Adjedj, Anaïs Dormoy, Jean-Loup Faurat, Géraldine Martin, Édouard Monnet, Julie Origné, Axelle Rossini, Ian Simms, Mabel Tapia, Magaux Verdet
Exposition réalisée avec le concours de David Zwirner Gallery (NY), Ad reinhardt Foundation, Galerie Michel Rein (Paris/brussels), Frédéric Mathieu, Projects Art Centre (Dublin), Krist Gruijthuijsen, Donation Hervé Fischer, Bibliothèque Kandinsky, Musée d'Art de Toulon, Barbro Schultz Lunderstam, Gisèle Durand-Ruiz, Sandra Alvarez de Toledo
Á Vidéochroniques, 1 place de la lorette, 13002 Marseille
En 1966, Mel Bochner expose
Working Drawings and Other Visible Things on Paper Not Necessarily Meant to Be
Viewed as Art
. Cette œuvre a été retenue par l’histoire de l’art comme figurant parmi celles qui ont inauguré l’art concep
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tuel, et initié le changement radical du régime de l’œuvre d’art qui s’opère dans les années soixante.
Invité à organiser
une exposition pour la School of Visual Arts de New York durant l’hiver 1966, où il enseigne l’histoire de l’art, Mel Bochner
a sollicité des personnes dont il appréciait le travail et qui exerçaient leurs recherches dans différents domaines.
Artistes,
mathématiciens, biologistes, architectes, musiciens, chorégraphes ont envoyé des dessins préparatoires, plans, partitions,
croquis... à la demande de Mel Bochner, qui précise que ces documents n’ont pas à être de l’art en soi.
Mel Bochner a en
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suite photocopié en quatre exemplaires les cent dessins, réduits au format papier standard et a présenté chaque ensemble
dans un classeur placé sur un socle. Cette œuvre procède des questionnements d’une génération d’artistes qui cherche
à mesurer les processus artistiques plutôt qu’à produire des œuvres et des expositions.
Ce que la critique et commissaire
Lucy Lippard a théorisé en 1968 comme relevant de la « dématérialisation de l’art ».
Qui plus est, la nature hétéroclite de
tous ces documents, leur statut incertain, ainsi que la multiplicité des auteurs défient les conceptions traditionnelles de
l’œuvre d’art.
Précisément,
Working Drawings and Other Visible Things on Paper Not Necessarily Meant to Be Viewed as
Art
est un refus frontal de la conception moderniste, alors hégémonique, qui assure l’autonomie absolue de l’œuvre d’art,
close sur elle-même ; suppose le surplomb de son auteur généralement démiurge ; repose sur un récit ayant pour horizon
la conquête de la pureté des médiums. Une théorie qui, au nom d’une essence intrinsèque, assure à la discipline de l’art
une place de choix dans la hiérarchie des valeurs.
Les
années soixante sont celles des révoltes étudiantes et citoyennes qui mettent en crise l’autorité, le pater
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nalisme et la culture bourgeoise. Elles sont aussi celles de toute une génération qui s’inscrit en faux contre l’esthétique
moderniste incarnée par Clement Greenberg. Toutefois, la proposition de Mel Bochner ne saurait être associée à la rhé
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torique « anti-art » qui occupe les démarches de certains artistes affiliés à « Fluxus », pour ne citer qu’eux.
Elle ne saurait
non plus être inscrite dans la continuité des appels formulés par les avant-gardes historiques soucieuses de réunir « l’art
et la vie ».
L’œuvre de Bochner a ceci de singulier qu’elle reformule les termes de la question urgente de la place de l’art
dans la société : en réponse aux recherches qui s’efforcent de dialectiser ces deux domaines distincts que seraient l’art et
la société, Bochner sort de ces catégories binaires et affirme la possibilité de proposer un objet qui ne soit « pas nécessai
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rement destiné à être considéré comme de l’art ». C’est-à-dire, un objet dont les statuts sont multiples, résolument poreux
et dépendants d’un contexte – lui-même variable par définition.
La catégorie « art » est dissoute et, ce faisant, la question
même de la place de l’art dans la société devient caduque. Le renouvellement des termes opéré est alors d’une fertilité
remarquable, en ce qu’il nécessite de réévaluer les critères d’appréciation de l’art, les outils de son élucidation théorique,
et les attendus esthétiques.
Cette
exposition a été conçue et réalisée par les membres du projet de recherche de l’Ecole Supérieure d’Art et
de Design Toulon Provence Méditerranée, intitulé « Égalité, Hybridité, Ambivalence ».
Ce projet explore des travaux dont
le statut irrésolu interroge un ensemble d’idées entrelacées telles que celles de l’auteur, de l’autonomie de l’œuvre, leurs
régimes de visibilité, leurs relations aux instances performatives du monde de l’art, et la notion d’art en tant qu’activité
plutôt qu’économie productrice d’objets. Selon une approche prospective, nous présentons des pièces qui résonnent avec
la démarche de Mel Bochner dont l’œuvre ici réactivée, par son caractère exemplaire, agit comme figure tutélaire de l’exposition.
Documents téléchargeables.
Hors d’œuvres
Retour dans les années 60 chez Vidéochroniques, avec une exposition qui retrace les débuts de l’art conceptuel, et interroge par là même les prémices de l’une des plus grandes incompréhensions de l’art contemporain. L’art est cosa mentale disait Léonard de Vinci, et l’idée prévaut sur la forme. N’en déplaise aujourd’hui encore à ses détracteurs…
Things Not Necessary Meant to Be Viewed as Art a été conçue par le groupe de recherche de l’Ecole supérieure d’Art et de Design de Toulon. C’est donc un commissariat à têtes multiples, parmi lesquelles Edouard Monnet, directeur du lieu, qui a réalisé cette exposition tout en l’inscrivant dans un programme plus vaste de réflexion autour du statut irrésolu de certains travaux artistiques et de la porosité de différentes notions relatives à l’œuvre d’art, à sa visibilité, à sa production et à son autonomie.
Une fois n’est pas coutume, Vidéochroniques nous propose une exposition riche et complexe qui revient sur l’histoire de l’art conceptuel et ses formes non produites, non plastiques, ne trouvant jamais leur finalité dans l’objet.
L’exposition, construite autour de la figure tutélaire de Mel Bochner et de son œuvre Working Drawings and Other Visible Things on Paper not necessarily meant to be viewed as Art (1966), rassemble quelques œuvres figurant les moments clés de cette histoire d’un art qui ne se donne plus à voir mais à penser, et que la critique Lucy Lippard théorisait en 1968 comme relevant de « la dématérialisation de l’art ».
S’il en est toujours ainsi, l’art conceptuel demande peut-être plus encore au regardeur une adhésion qui relève de la croyance, une croyance véritablement mystagogique comme le précise Bernard Stiegler : « L’art ne s’œuvre comme une œuvre que si l’on y croit. » Les formes inédites de l’art conceptuel demandaient à l’amateur d’art d’abandonner les codes qu’il avait l’habitude de manipuler dans son rapport à l’œuvre et à l’exposition.
Des formes particulières qui perdurent encore aujourd’hui et qui trouvent leur place aussi dans cette exposition, comme en témoigne la présence d’Allan Sekula.
« L’art est pour Mel Bochner une activité qui permet de penser la relation aux choses du monde », dit Claire Legrand. Idées, systèmes et processus rassemblent les quinze protagonistes de l’exposition autour de questions qui éclosent dans les années 60 et s’opposent aux théories greenbergiennes.
Il y est notamment question des rapports entre l’art et la société, l’artiste et la société, l’hégémonie de l’auteur sur l’œuvre… Ou comment échapper au marché de l’art ? Comment cesser de produire d’avantage tout en continuant à faire de l’art ? Quelle autonomie pour l’œuvre d’art ? Ou encore, comme il est dit dans le dossier de presse, de quoi relève le statut artistique d’une production, « de la notion d’art en tant qu’activité plutôt qu’économie productrice d’objet » ?
Les œuvres réunies dans l’exposition tentaient en leur temps de répondre à ces questions qui secouaient alors la scène artistique. Cette remise en question des modèles établis d’antan dépassait, on le sait, le champ de l’art, s’étendant à une société tout entière.
L’une des réponses apportées par le commissaire et marchand d’art Seth Siegelaub, à qui le Stedelijk Museum d’Amsterdam consacre actuellement une très belle exposition, sera les fameux catalogues-expositions. Le fascicule fait à la fois office d’œuvre et d’exposition, assumant les deux statuts.
Dans le Xerox Book publié en 1968 aux Etats-Unis, les œuvres de Carl Andre, Sol Lewit, Robert Barry, Joseph Kosuth, Laurence Weiner sont des sortes d’exercices pensés et imaginés pour la forme catalogue-exposition, préparées en photocopie et imprimées en offset.
Chaque artiste dispose de vingt-cinq pages et déploie un geste à la fois protocolaire et performatif, à l’instar de Carl Andre qui propose une version de sa série de Scatter Piece en disposant une à une sur l’écran du photocopieur vingt-cinq cartes de format carré selon une composition déterminée par le hasard.
How to look d’Ad Reinhardt se déploie pour l’exposition sur un poster géant, forme inédite proposée par les commissaires pour cette série de page d’art faite de cartoon collé publiée entre 1946 et 1947 dans l’hebdomadaire P.M. Un ensemble de dessins politiques et caustiques se déploie sur les murs de la galerie, comme une attaque en règle de la part d’Ad Reinhardt envers l’abstraction ou l’art moderne…
Un bâton d’André Cadere trône dans un coin. Sa présence rappelle que dans les années 60, le bâton d’anneaux de couleur de Cadere dénonçait déjà les conditions et les critères d’exposition comme apanage des programmateurs et du commerce de l’art, et impliquait politiquement cet artiste qui jouait à perturber les expositions en abandonnant ses bâtons ici et là, également envisagés et conceptualisés comme « des peintures sans fin »…
Plus proche dans le temps, le film d’Allan Sekula, The Lottery of the Sea, sorte d’essai philosophie et social de trois heures, voit le monde de la mer comme une allégorie du capitalisme et de la mondialisation.
Things Not Necessary Meant to Be Viewed as Art est une exposition exigeante qui demande au spectateur un investissement intellectuel évident.
A l’image de Working Drawings and Other visible Things on Paper not necessarily meant to be viewed as Art, l’œuvre de Mel Bochner, qui marque le début d’un mouvement lui-même marqué par la diversité des démarches artistiques s’en réclamant.
En 1966, Mel Bochner convie à une exposition les dessins, esquisses, documents, listes et photocopies produites par diverses personnes (parmi lesquelles des artistes plasticiens) sans nécessairement les envisager comme des œuvres d’art.
Il présente d’ailleurs ses dessins dans des classeurs administratifs banals et donne à l’ensemble un statut d’archive documentaire loin des modes de monstration admis dans le monde de l’art, et ce tout en assumant son côté rébarbatif.
Ces œuvres ne se sirotent donc pas, mais nous obligent à engager notre regard. En cela, elles nous permettent ce plaisir intellectuel que propose parfois une œuvre d’art quand il s’agit de construire avec elle une pensée, et plus seulement de la recevoir passivement.
Si les tas de photocopies vous découragent, ne vous privez pas des commentaires d’Elsa Roussel, qui vous aideront à cheminer dans l’une des périodes les plus stimulantes de l’histoire de l’art du siècle dernier.
Céline Ghisleri
Dans la revue Ventilo, bimensuel culturel gratuit édité par Aspiro, diffusé à Marseille, Aix-en-Provence et les Bouches-du-Rhône.